Le mercredi 25 octobre dernier, le Salon Marceau a fait salle comble à l'occasion de la table ronde sur l'Intelligence artificielle organisée, en partenariat avec la Ville, par l'Université chartraine du temps libre qui avait convié deux grands spécialistes de la question, Luc Julia et Alexandre Gefen.
« Face au progrès, il y a toujours plusieurs attitudes : il y a ceux qui le refusent, ceux qui s'en méfient et ceux qui sont plus ou moins enthousiastes, a déclaré en préambule Richard Lizurey, adjoint en charge de la Sécurité et de la Tranquillité publique, qui s'exprimait au nom du maire, Jean-Pierre Gorges. L'intérêt des échanges de cet après-midi est d'essayer d'y voir plus clair. Le maire de Chartres considère que l'Intelligence artificielle est une véritable opportunité pour améliorer le quotidien des Chartraines et des Chartrains mais aussi pour l'ensemble de la société, et il souhaite mettre cet outil à la disposition d'un maximum d'habitants de Chartres et de l'agglomération et faire de Chartres une ville leader dans le domaine de l'utilisation de l'IA. »
Luc Julia, spécialiste mondialement reconnu de l'Intelligence artificielle (IA) et de l'innovation technologique et co-concepteur de l'assistant vocal Siri, et Alexandre Gefen, directeur de recherche au CNRS et auteur de Vivre avec ChatGPT (Éditions de l'Observatoire), ont ensuite échangé sur les opportunités et les dangers que fait naître l'Intelligence artificielle.
Qu'est-ce que l'IA ?
Luc Julia : c'est une boîte à outils, des outils puissants, potentiellement dangereux, comme peut l'être un marteau, qui permettent de faire plein de choses qui ont l'air d'être intelligentes. Mais les IA ne sont pas créatives. On ne peut donc pas les comparer avec les humains.
Alexandre Gefen : il y a tout une gamme d'IA, dont les IA génératives, capables de générer un contenu à partir d'autres contenus. C'est le cas de ChatGPT, arrivé en novembre 2022, qui fait partie de ce que l'on appelle les AI contemporaines, capables par exemple de battre un grand maître aux échecs, qui suscitent l'intérêt du public.
L'impact de l'IA sur l'emploi
AG : il est très difficile à évaluer. Les nombreux rapports déjà faits sur le sujet font état autant d'impacts négatifs que positifs. Si un certain nombre de professionnels sont inquiets (traducteurs, artistes illustrateurs, journalistes…), je crois qu'il est encore trop tôt pour juger de l'impact économique de ces IA.
LJ : quand on regarde l'Histoire, on voit bien que les tâches éliminées sont en général remplacées par des tâches nouvelles. Il faut donc anticiper ce qui va arriver en se formant à ces nouveaux métiers, ce qui permettra de lisser l'impact négatif de ces nouvelles technologies. C'est de toute façon un problème compliqué.
L'impact environnemental de l'IA
LJ : Les IA peuvent nous permettre d'optimiser certains systèmes pour les rendre plus économes en énergie, mais elles-mêmes ne le sont pas. Les data centers, qui utilisent plus d'électricité pour se refroidir que pour stocker ou faire les calculs, sont à cet égard des aberrations écologiques. Le problème, c'est que les IA comme ChatGPT sont trop faciles à utiliser. Et donc tout le monde les utilise, et pas toujours à bon escient. Il faut se mettre à réfléchir pour savoir si l'on a vraiment besoin de toutes ces IA, qui ne servent parfois qu'à s'amuser.
AG : une partie des développeurs d'IA soulignent qu'elles permettront d'optimiser les réseaux d'électricité, de fabriquer des éoliennes ou des panneaux solaires plus efficaces, etc. Au final, je pense que les progrès scientifiques permis grâce à l'IA, et ils sont déjà très nombreux, seront plus bénéfiques que néfastes pour l'environnement.
Un outil à manier avec prudence
AG : les IA ne savent pas ce qui est vrai ou ce qui est faux. Elles doivent donc être utilisées avec prudence. Nous devons donc être de plus en plus vigilants, et compter sur les journalistes, les enseignants, le monde scientifique, pour solidifier nos données, au risque de voir grandir la défiance à l'égard de ces outils, capables de générer du faux autant que du vrai.
LJ : il est important de continuer à douter. Le problème de ces modèles d'IA c'est qu'ils s'appuient sur des données statistiques forcément biaisées. Ils ne raisonnent pas et donc ne doutent pas.
L'IA et la fracture numérique
AG : ChatGPT permet aujourd'hui à un certain nombre de personnes qui n'ont pas de capacités rédactionnelles ou d'argumentation, qui ne maîtrisent pas l'anglais ou n'ont pas de connaissances juridiques, d'accéder à de nouvelles capacités. L'un des premiers usages de Chat- PGT aux États-Unis concerne la rédaction de plaintes pour aller en justice. Le danger, c'est qu'à force de se servir de ce genre d'outils, on peut faire naître une certaine paresse intellectuelle, notamment chez les étudiants. Et la fracture cognitive peut devenir un vrai problème.
LJ : le pourcentage de victimes de l'illectronisme ne va pas évoluer. En revanche, on observe, grâce à l'IA, un nivellement par le haut, dans l'entreprise notamment. Ce qui est nouveau. Ceux qui n'étaient pas spécialement performants dans certaines tâches le deviennent davantage et ceux qui l'étaient déjà le sont encore plus. Le risque, c'est de tout déléguer et de devenir complètement idiot. Mon souhait c'est qu'on utilise le temps libéré par l'utilisation de ces outils pour faire autre chose, lire des livres, s'éduquer, au lieu de manger des chips sur le canapé en regardant la télé.
Pour améliorer la compréhension sur l'intelligence artificielle et de ses outils, ainsi que les démystifier, le maire Jean-Pierre Gorges souhaite les rendre plus accessibles. Ainsi, la médiathèque l'Apostrophe proposera très bientôt des ateliers (pratiques et théoriques) sur le sujet et mettra à disposition des applications et logiciels.
