Autrefois porte fortifiée entre ville et faubourg, aujourd'hui zone de transition entre espace urbain et franges périurbaines, « l'entrée de ville » est un enjeu. Quel fut le choix de la municipalité chartraine au tournant des XVIIIe-XIXe siècles ?
Les anciennes portes de la ville.
État des lieux
« Chartres est une belle grande ville, toute entourée de murailles et de fossés profonds, mais sans eau. À la vérité, les murailles ont été ruinées par places à cause des guerres qu'elle a subies. Cependant elles constituent encore une défense efficace. Devant les portes, il y a de grands ravelins, encore en assez bon état, qui ne semblent pas très anciens. Un bras de la rivière d'Eure entre en ville sous une grille ou une herse en fer. » (Voyage en France 1643-1646, Élie Brackenhoffer, 1925-1927, trad. pasteur H. Lehr, Chartres-Lausanne-Strasbourg).
Au siècle suivant, oubliant les guerres civiles et loin des guerres étrangères, les Chartrains demandent l'élargissement des portes de la ville et la suppression des ravelins, pour faciliter la circulation. En 1732, le cintre fragilisé de la voûte de la porte Châtelet est détruit. En 1737, on démolit son ravelin et on comble son fossé.
En 1741, c'est le tour du fossé Saint-Michel, puis en 1768, on abat le ravelin de la Porte Morard. En 1776, on ouvre un second accès à la basse-cour de la Porte des Épars et en 1777, on comble le fossé de la porte Châtelet.
Mur de la ville inséré dans la construction de l'entrée Saint-Michel.
Choix de la municipalité : Faire de la basse-cour de la porte une place
En 1778, la Ville commande un plan d'améliorations urbaines à l'architecte-voyer Laurent Morin (Saint-Manvieu, Calvados 1737-Chartres 1829), qui s'est vu refuser en 1775 un projet de décoration de la porte des Épars soumis au duc d'Orléans : on jugea que « loin de contribuer à la décoration de la porte, il embarrasserait le passage ». Il remet à la municipalité un projet d'adduction d'eau par la fontaine de Luisant et d'élargissement des accès par la démolition des portes.
Chartres déclassée comme place-forte
En 1804, Chartres est rayée des places de guerre par Napoléon Ier. Cinq des six portes encore existantes seront démolies (portes des Épars 1806-1808, Drouaise 1816, Châtelet et Saint-Michel 1834, Morard 1847), la porte Guillaume étant protégée depuis 1796 pour son intérêt patrimonial. En 1831, la municipalité établit les droits de la ville et des particuliers propriétaires ou jouissant de certaines parties des murailles et des tours. Pour « la bande de terrain de 9 pieds longeant le rempart, ceux qui la détenaient en vertu de concessions à cens ou grevées de droits féodaux abolis par la Révolution, ainsi que ceux qui, sans avoir des concessions régulières, l'avaient occupée de bonne foi, sans réclamations de la ville, depuis 1789, en sont devenus propriétaires incommutables ». L'enceinte appartient à la ville.
Concept d'entrée de ville de Morin
Il consiste à transformer la basse-cour de la porte en place bordée de maisons identiques de style néoclassique, et de faire du sas intérieur de cette porte une rue reliant faubourg et intra-muros. L'exécution du prototype varie selon l'importance de la porte. En 1850, la vue de Chartres de Deroy représente avec plus ou moins d'exactitude les entrées de ville inspirées du concept de Morin : aux avancées en demi-lune ou à angle saillant des fortifications succèdent des places en creux formant un demi-cercle, un triangle ou un ovale.
L'entrée de la porte Saint-Michel, en 1850.
Les nouvelles entrées
Entrée Saint-Michel (sud)
En 1802, le chaufournier Étienne Mirey, domicilié rue de la Planche aux carpes, obtient de la ville la concession des terrains encadrant la Porte Saint-Michel pour y construire des maisons d'aspect décoratif autour de l'ancienne basse-cour de la porte et sur la promenade Saint-Michel. Il a obligation de conserver aux propriétaires la vue depuis leurs terrasses. Il élève donc, sur les plans de Morin, l'entrée de ville Saint-Michel et ses gracieuses maisons ornées d'une frise. Le style de l'entrée se prolonge cours Saint Michel (auj. bd. Chasles) que les acquéreurs de terrains doivent border d'une ligne continue de maisons d'habitation sans pignon ni communs ou boutique en façade.
Entrée des Épars (ouest)
En 1782, Morin présente à la Ville son nouveau projet pour le « tairain de la place des Baricade et accsésoire à leffet di projetter une place dont jen ait remis le pland à la ville et l'ellevations » : un décor monumental avec maisons à arcades encadrant une « rue des Épars » (auj. Delacroix). En 1792, l'exécution du « Pland Elevation du Batiment que Messieurs les Maires et Officiers Municipaux desire faire construire a la porte des Eparts. Donné par nous architecte le 8 mars 1792. L. Morin » est confiée à Étienne Mirey.
Le bâtiment abritant un corps de garde repose sur « deux arcades, piliers et plaintes en pierres de Berchères choisies sans trous et taillées sans aucune écornure, appuis des croisées en plâtre avec consoles et recouverts d'une dalle de pierre de liais de 5 pouces d'épaisseur, corniche en briques faites exprès suivant le profil, revêtue de plâtre avec modillons et couverte de pierre de liais de 2 pouces, surmontée d'un soc en pierres de Berchères ».
En dépit des attaques du maçon Duchesne-Galoux en 1794, puis de l'architecte-voyer Damars en 1824, le projet prend forme : quatre hôtels entourent l'entrée de ville occidentale, hôtels du Grand monarque (depuis 1784), du duc de Chartres (1830), de France, des Trois Mages, complétés de maisons néo-renaissance en brique. Le résultat est moins ambitieux que le projet et la symétrie chère à Morin est oubliée. L'entrée occidentale de la ville devient un lieu de rassemblement et un échangeur pour trois grandes voies (Orléans-Rouen, Paris-Espagne, Paris-Le Mans).
Le quartier Épars-Châtelet, avant la Révolution.
Entrées Châtelet (nord)
Le dessinateur Civeton montre cette porte en 1825, encadrée des pavillons ajoutés en 1790-1792 par Morin et l'ingénieur Quévanne, ainsi que de maisons formant un demi-cercle, de style néoclassique. Fin XXe siècle, la restauration effectuée par le Conseil général a restitué leur harmonieuse unité.
Les entrées Drouaise et Morard, moins travaillées, laissent peu de traces. Tout juste peut-on observer un reste de symétrie entre les maisons encadrant l'entrée de la rue de la porte-Morard et celle de la rue de la Brèche.
La porte Morard, à différentes époques.
On reconnaît dans Laurent Morin, concepteur des entrées de ville théâtralisées de Chartres, le créateur en 1794, dans l'église Sainte-Foy désaffectée, de la « Comédie de Chartres » qu'il dirige de 1797 à 1816. Homme de goût, son empreinte à Chartres, importante et diverse, est celle d'un continuateur de l'art classique.
La marque de l'architecte Laurent Morin, au musée des Beaux-Arts.
Article de Juliette Clément, Société archéologique d'Eure-et-Loir.
Sources : AM Chartres, registres municipaux, AD 28, fonds SAEL.Cl. J. Clément, BnF, AD 28, fonds SAEL.