Le mois dernier, le Maire a commenté les bons classements de Chartres dans toutes les études qui mesurent la fréquentation des centres des villes moyennes françaises.
Il souhaite aujourd’hui élargir la perspective, un cœur de ville et d’agglomération n’étant pas seulement un grand centre commercial à ciel ouvert...
Votre Ville : La bataille de la fréquentation du cœur de ville ne serait donc que l’un des enjeux d’un défi plus global ?
Jean-Pierre Gorges : Nous avons gagné la première bataille menée depuis vingt ans : le cœur de Ville de Chartres dispose aujourd’hui des grandes infrastructures nécessaires, un grand parking et d’autres rénovés ou à venir, de grands équipements culturels de premier ordre (médiathèque, cinéma, théâtre, conservatoire, et bientôt théâtre Off , etc), un Pôle administratif qui va enfin ouvrir, de grandes animations culturelles, populaires et gratuites qui attirent habitants et touristes…
Alors notre commerce de centre-ville va plutôt mieux qu’ailleurs. Preuve ultime, le taux de vacance des commerces à Chartres est inférieur de moitié à celui qui prévaut dans les villes comparables. Mais cette victoire reste fragile, tant que nous n’aurons pas réinstallé des habitants supplémentaires dans notre cœur de ville. En effet, il y a au centre-ville 11 500 propriétaires mais seulement 4 000 à 5 000 habitants.
Nous connaissons maintenant les causes de ce paradoxe déséquilibré : la prospérité relative du commerce chartrain a fait que les propriétaires d’immeubles qui les abritent pouvaient jusqu’à présent rentabiliser leur investissement par le seul produit des loyers commerciaux. Les devantures des magasins en occupent tout le rez-de-chaussée. Les étages sont inaccessibles à d’éventuels locataires. Et donc trop souvent vides. Seules victimes, les commerces de bouche qui n’ont plus de clients le soir venu, puisqu’il n’y a plus assez d’habitants sur place.
Deuxième conséquence, résultat d’un long processus qui n’incitait pas les propriétaires d’immeubles à les entretenir et à les faire habiter : derrière et au-dessus des belles devantures, l’état du bâti du centre-ville est souvent médiocre. Nous l’avons vérifié lorsque nous avons lancé il y a quelques années des aides à la réfection des façades de certains immeubles dont la belle apparence fait partie de l’attractivité de Chartres. Dans bien des cas ce n’étaient pas seulement les façades qui posaient problème mais bien l’état de l’immeuble tout entier.
Nous étions face à un paradoxe : la prospérité commerciale finissait par mettre en danger une bonne partie du bâti du centre-ville...
VV : Il s’agit pour l’essentiel de propriétés privées. Comment agir ?
JPG : Pour agir, j’ai besoin du concours des Chartrains. Pour réinstaller des habitants au centre-ville, il est nécessaire que tous les acteurs, propriétaires et commerçants, prennent conscience que c’est leur intérêt à long terme, alors que leur intérêt à court terme ne les encourage pas à agir.
À nous municipalité de mettre en place les dispositifs les plus incitatifs possibles, car le centre-Ville de Chartres appartient au bout du compte à tous les Chartrains.
VV : C’est l’une des raisons qui vous conduit à vouloir élargir le périmètre du secteur sauvegardé ?
JPG : Le secteur sauvegardé, c’est un espace urbain à forte valeur patrimoniale et historique, dont le bâti est régi par des règles contraignantes.
En contrepartie, les propriétaires se voient consentir des avantages fiscaux s’ils réhabilitent et entretiennent leurs immeubles. C’est ce qu’on appelle la Loi Malraux, du nom du grand ministre de la Culture du Général de Gaulle.
Le secteur sauvegardé de Chartres est le 2e le plus ancien de France. On en voit la réussite dans la basse ville. Dans les années 1960, ce quartier était devenu quasiment un taudis. Il fait aujourd’hui l’admiration générale.
En toute cohérence, le secteur sauvegardé de Chartres aurait dû comprendre tout l’espace ancien entouré par le cercle des grands boulevards intérieurs de la ville. Ce n’est pas le cas, certains propriétaires et commerçants ayant obtenu à l’époque qu’une partie de la ville haute commerciale ne soit pas comprise dans le dispositif. Ils redoutaient le poids des contraintes.
Mais la réalité d’aujourd’hui impose le retour à la cohérence. Depuis deux ans, nous avons donc mandaté deux cabinets qui préparent cet élargissement qui fait maintenant consensus. En juin prochain, nous serons en mesure de valider le nouveau périmètre du secteur sauvegardé. Celui-ci sera ensuite soumis à l’examen de la commission locale du secteur sauvegardé puis à la commission nationale compétente. Pour une mise en œuvre que nous espérons au début de l’année prochaine.
En même temps que nous retrouverons une cohérence, nous nous doterons d’un outil qui facilite la réhabilitation du bâti du centre-ville.
Le conseil municipal a également adopté des délibérations qui concernent 16 chantiers précis de réhabilitation d’immeubles…
J’en ai encore visité un l’autre jour place Marceau. Il peut servir d’exemple et j’invite les Chartrains à venir le voir. Ces délibérations sont des outils qui encadrent et facilitent notre action s’agissant de propriétés privées. Elles concernent des immeubles en mauvais état.
Elles prévoient 3 phases :
- La première, à la fois nécessaire et souhaitable, est celle de la concertation entre la Ville et le propriétaire. Si accord il y a, les services de la Ville et de Chartres métropole aident le propriétaire à monter son dossier technique et financier. Mais ce n’est pas toujours aussi facile, surtout quand il y a plusieurs propriétaires qui peuvent avoir des priorités et des moyens différents.
- La deuxième, si la concertation n’aboutit pas, se traduit par l’ouverture d’une enquête publique qui débouche sur un arrêté préfectoral déclarant les travaux nécessaires d’utilité publique (DUP), lequel est notifié au(x) propriétaire(s) et le(s) met en demeure d’effectuer lesdits travaux.
- La troisième permet à la Ville de se substituer au propriétaire : elle réalise les travaux et en adresse la facture au propriétaire ou acquiert l’immeuble.
La possibilité de la contrainte est nécessaire, même si la menace vaut mieux que l’exécution. Sauf à tolérer pendant des décennies de véritables « verrues » qui défigurent certaines rues, voire mettent en danger leurs voisins, comme on l’a vu il y a quelques mois à Marseille.
Il faut comprendre que si nous devions avoir recours à une procédure d’expropriation, ce que je n’ai jamais fait en vingt ans à Chartres, c’est uniquement dans l’intérêt général, et aussi dans l’intérêt des propriétaires parfois englués dans des situations inextricables.
VV : Quels dispositifs encadrent ces opérations ?
JPG : Ces Opérations de restauration immobilière (ORI) font partie de l’Opération programmée d’amélioration de l’habitat et de renouvellement urbain (OPAH-RU) voté par le Conseil municipal en juillet dernier. Elle s’intègre au programme Action Cœur de Ville, voulu par l’État pour redynamiser l’activité des coeurs de ville. Ce dispositif permet également à la Ville d’avoir accès à des subventions et à des financements moins coûteux et plus longs.
VV : Toutes ces procédures visent à supprimer ce paradoxe, à inverser ce cercle vicieux dont vous parliez plus haut ?
JPG : À transformer le cercle vicieux en cercle vertueux. Quand nous travaillons au cas par cas à réhabiliter des immeubles anciens, nous rendons son attractivité à toute une rue, nous remettons sur le marché des logements vacants, pas loin de 200 possibles dans les 16 premiers chantiers dont nous parlons.
Nous supprimons bien sûr des logements indignes. Nous évitons d’autre part la « gentrification » excessive du centre-ville en introduisant du logement social, de la mixité et des familles, tout en permettant aux propriétaires de revaloriser considérablement leurs biens aujourd’hui dégradés.
Enfin, nous augmentons le nombre d’habitants permanents du centre-ville, ce qui est au bout du compte bénéfique pour son commerce et surtout son commerce de bouche.