Le Parlement débat du projet de budget de l'État et du projet de loi de financement de la Sécurité sociale pour l'année 2025 dans un contexte financier et politique compliqué. Quelles conséquences pour les Français et pour les collectivités locales ? « Nous saurons nous adapter », répond Jean-Pierre Gorges.
Votre Ville : Les recettes fiscales des collectivités comme les bases des impôts locaux dépendent du vote final qui aura lieu avant le 31 décembre. Êtes-vous inquiet ?
Jean-Pierre Gorges : Attentif, pas inquiet. Nous avons anticipé, nous nous sommes organisés, nous saurons nous adapter. Je ne me fais pas d'illusions : nous allons vers une baisse significative de nos ressources. De ce que l'on nous annonce, un prélèvement de 2 % de nos recettes de fonctionnement et une baisse du Fonds de compensation de la TVA. Les recettes de la Ville pourraient perdre près de 2 millions d'euros en 2025 par rapport à 2024. C'est un choc.
L'État ampute nos ressources à court terme, alors qu'il nous a encouragés depuis des années à investir, et donc à emprunter dans la durée longue. C'est comme si on vous disait d'acheter un logement avec un emprunt sur vingt ans, et que dès l'année suivante, on amputait vos ressources sur lesquelles vous comptiez vous appuyer pour rembourser votre emprunt. Le quinquennat Hollande nous avait déjà coûté très cher. L'État verse chaque année aux collectivités une Dotation globale de fonctionnement (DGF). Elle était de 10 millions d'euros en 2013 et de 6,5 millions d'euros en 2018 : faites le calcul ! Et je ne vous parle pas des ressources de Chartres métropole. Depuis 2017, cette DGF est restée stable.
Cette ponction était destinée (déjà !) à combler une partie du déficit de l'État et à réduire la dette. Vous constatez comme moi qu'il n'en a rien été. Malgré ces évènements, notre municipalité a baissé chaque année depuis 2001 jusqu'en 2020 les taux des impôts locaux des Chartrains, taxe foncière et taxe d'habitation. Depuis 2021, nous avons progressivement perdu la taxe d'habitation, même si ses montants ont été depuis plus ou moins compensés par l'État. Mais nous avons perdu toute liberté en la matière, et ce sont les propriétaires qui aujourd'hui supportent l'essentiel de la pression fiscale locale.
« Ne pas augmenter les taux de la taxe foncière chartraine, c'est aussi faire du social. Et pas seulement en parler. »
VV : Vous comptez tenir vos engagements en matière de taxe foncière ?
JPG : Oui. Nous nous sommes engagés en 2020 à laisser stables les taux de la taxe foncière chartraine tout au long de la durée du mandat, soit jusqu'en 2026. Et les Chartrains savent que j'ai l'habitude de tenir mes engagements. Ce n'est pas seulement pour être gentil à l'égard des propriétaires. En effet, mes opposants, comme leurs prédécesseurs, semblent toujours ignorer que les bailleurs sociaux, et à Chartres essentiellement C'Chartres Habitat, sont propriétaires de plus de 6 000 logements sociaux, et paient la taxe foncière. Or, la loi les oblige à équilibrer leurs comptes uniquement grâce aux loyers payés par leurs locataires. Ne pas augmenter les taux de la taxe foncière chartraine, c'est donc aussi faire du social. Et pas seulement en parler.
« 549 millions d'€ investis par la Ville et 900 millions par Chartres métropole ! »
VV : Comment allez-vous supporter la baisse de ressources annoncée ?
JPG : L'État veut manifestement limiter les capacités d'emprunt des collectivités locales. Il va donc nous falloir faire des choix en matière d'investissement. Heureusement, ces vingt dernières années, nous avons réalisé tous les grands équipements qui manquaient à Chartres et à l'Agglomération depuis des décennies pour retrouver dynamisme et attractivité. 549 millions investis par la Ville et près de 900 millions par Chartres métropole !
Je ne le dirai jamais assez : les entreprises investissent, se développent et recrutent quand les collectivités peuvent offrir à leurs personnels, qui sont aussi des habitants, les logements, les équipements publics (écoles, hôpitaux, etc.), les transports et les animations sportives et culturelles qui leur donnent envie de venir vivre ici. Nous n'allons pas construire une nouvelle Odyssée, un nouveau Colisée, un nouvel Illiade, une nouvelle Méd'IAthèque, un nouveau cinéma, une nouvelle station d'épuration, de nouvelles écoles, un deuxième Conservatoire, un autre Pôle gare ou développer un autre Plan Vert, etc.
Tout ceci, nous l'avons surtout fait en dégageant chaque année des excédents de fonctionnement importants dans les budgets de la Ville et de l'Agglomération. Ces excédents de bonne gestion, nous les avons reversés dans la section Investissements de nos budgets. Ils nous ont permis d'autofinancer une bonne part de ces réalisations.
« Les collectivités locales et territoriales assurent 70 % des investissements de ce pays. »
Cette efficacité a eu un autre mérite, celui de nous conserver la confiance de nos partenaires financiers publics et privés. Nous avons donc pu emprunter à des taux extrêmement favorables, dans des conditions sécurisées et sur des durées longues. En 2001, la Ville n'investissait plus depuis longtemps et empruntait pour payer ses fins de mois. Depuis, nos emprunts ont été consacrés exclusivement à l'investissement.
Notre dette, nous pouvons la rembourser, et relativement vite, à la différence de l'État. Là encore, n'oubliez jamais que la loi oblige les collectivités à présenter des comptes en équilibre. Quand on parle dans les médias ou les enceintes parisiennes de la dette des collectivités locales, n'oubliez pas que celle-ci est faible et qu'elle est financée. Et surtout que ce sont les collectivités locales et territoriales qui assurent 70 % des investissements réalisés dans ce pays. Ceux qui préparent l'avenir.
« Priorité aux services à la population, la propreté, la sécurité. »
VV : Quels seront vos critères de choix ?
JPG : Les équipements majeurs étant réalisés, nous donnerons évidemment priorité en la matière aux services à la population, la propreté, la sécurité, etc. Les Chartrains et les habitants de l'Agglomération d'abord ! Pourtant, nos dépenses de fonctionnement continuent d'augmenter. Malgré nous. Ainsi l'Agglo versera-t-elle, en 2025, 300 000 euros de plus qu'en 2024 au Service départemental d'incendie et de secours (SDIS) qui gère les sapeurs-pompiers.
Dans un autre registre, sachez que les assurances refusent désormais, pour la plupart d'entre elles, d'assurer les bâtiments publics, et ce depuis les dernières émeutes urbaines de 2023, qui n'ont pourtant pas touché Chartres. Un exemple : rien que pour l'Odyssée, qui appartient à l'Agglo, la prime annuelle passera de 20 000 euros à 100 000 euros : il n'y avait qu'une seule compagnie candidate.
Enfin, l'État, qui va amputer nos recettes de fonctionnement, va en même temps nous obliger à cotiser davantage pour financer la retraite de nos fonctionnaires (Ville et Agglo), un surcoût annuel qui se chiffre en dizaines de milliers d'euros, voire davantage. Cerise sur le gâteau si j'ose dire, le montant d'un impôt dépend de deux variables. D'abord les bases qui sont fixées par l'État à travers le vote du Budget chaque année. Ces bases évoluent pour tenir compte plus ou moins de la hausse du coût de la vie. À ces bases, nous collectivités, appliquons et votons des taux. Et nous ne savons pas encore comment évolueront les bases dans le cadre du débat budgétaire actuel.
VV : Malgré ce contexte, vous avez plaidé devant le Congrès des maires d'Eure-et-Loir pour l'autonomie financière des collectivités locales ?
JPG : Il ne faut pas confondre l'autonomie financière et l'autonomie fiscale. La première est un principe constitutionnel. Pour la seconde, vous comprenez que l'État n'est pas prêt de nous l'accorder, tant il la restreint depuis quinze ou vingt ans. J'y serais évidemment favorable : les élus prennent leurs responsabilités et les électeurs sanctionnent en fin de mandat. Ou pas.
Vous savez par ailleurs tout le mal que je pense du jacobinisme centralisateur parisien qui sévit en France depuis trop longtemps. Mais parfois, une directive européenne ou une loi nous permettent de nous organiser. Ainsi une directive européenne a étendu le champ des sociétés publiques locales, à capitaux publics ou partiellement privés. Ces sociétés d'économie mixte (SEM), sociétés publiques locales (SPL), sociétés d'économie mixte à objet unique (SEMOP) présentent deux avantages. Le premier est dans leur gestion de droit privé, avec la liberté de gestion d'une entreprise, sa souplesse et son efficacité. La deuxième est encore plus importante : quand ces sociétés dégagent des résultats, leurs actionnaires et donc ici la Ville et l'Agglo pour l'essentiel peuvent faire remonter au niveau du budget principal de l'Agglomération une partie de ces résultats, de ces bénéfices si vous préférez.
Chartres métropole s'est dotée d'une douzaine de ces entreprises publiques locales. C'est ainsi notamment que nous pouvons financer notre solidarité financière intercommunale par ce que nous appelons la Dotation de solidarité communautaire (DSC). Cette DSC est calculée selon des critères objectifs, définis ensemble par nos 66 communes et votés par le conseil communautaire. Aujourd'hui, le montant de cette DSC pour Chartres est presque équivalent à celui de la DGF accordée par l'État. Auparavant, les bénéfices remontaient le plus souvent vers de grandes sociétés nationales, parfois multinationales, et nous n'en voyions pas la couleur. Ce fut tout un travail d'organisation de mettre en place ce réseau d'entreprises publiques locales (EPL) satellites. Ces EPL sont évidemment contrôlées par leurs actionnaires publics, par un commissaire aux comptes pour chacune d'elles. Un double contrôle pour une parfaite transparence. De plus en plus, les villes et les agglos adoptent ce modèle qui tend vers l'autonomie financière de nos collectivités.
« Organiser et améliorer l'autonomie financière de la Ville et de l'Agglo. »
VV : Vous ne croyez donc pas en une décentralisation qui associerait autonomie fiscale et autonomie financière des collectivités locales ?
JPG : En matière fiscale, je vois plutôt depuis des années une recentralisation à l'œuvre, et j'attends encore la réforme de l'État pourtant si souvent promise. J'ai été député pendant quinze ans et membre de la Commission des finances de l'Assemblée nationale. En 2005, j'ai voulu déposer une proposition de loi qui obligerait l'État à présenter chaque année des comptes en équilibre, comme c'est le cas pour les collectivités locales. Ma propre famille politique d'alors m'a ri au nez. « Jean-Pierre, tu ne peux pas faire ça. À la différence d'une commune, d'un département ou d'une région, l'État chez nous est le dernier payeur ! » C'était le rapporteur général du Budget qui me parlait. Je lui ai répondu que c'était faux et que le dernier payeur était à mes yeux le contribuable, c'est-à-dire vous et moi.
C'est encore plus vrai aujourd'hui où la possibilité de dévaluer notre monnaie n'existe plus. Le franc a été remplacé par l'euro en 1998, et dans les faits depuis 2002. L'euro nous protège mais nous impose aussi des obligations en contrepartie. Quant à moi, je ne suis plus député, je ne dois plus de comptes qu'aux Chartrains et aux habitants de l'Agglomération. Je ne vais pas attendre que la raison revienne aux responsables politiques de l'État et des partis pour tenter d'organiser et d'améliorer l'autonomie financière de la Ville de Chartres et de Chartres métropole. Elle ne sera jamais que partielle, Chartres n'étant pas une île au milieu de l'océan. Mais c'est un bel objectif de vouloir donner aux habitants d'ici le maximum de possibilités de gérer eux-mêmes leurs propres affaires. D'autant que je suis persuadé depuis longtemps que la DGF versée par l'État continuera de baisser et de baisser encore. Jusqu'à disparaître ?
Pour le moment ici notre système marche, notre argent ne va plus, ou beaucoup moins, dans les grands groupes anonymes. Les entreprises et leurs emplois viennent chez nous et nous mettons en service tous les grands équipements publics nécessaires. En respectant la condition de l'équilibre : l'emprunt ne doit servir qu'à investir. Alors oui, je suis attentif. Et j'essaie de préparer la Ville et l'Agglo à l'évolution que je vois venir.